En l'absence d'autorisation écrite de l'auteur, l'INA bénéficie d'une présomption d'autorisation d'exploitation de ses œuvres


Par un arrêt du 20 janvier 2020 (n°17-18.177), la Cour de cassation met un terme au long contentieux opposant les ayants droit d'un artiste décédé à l'INA. Elle décide, en accord avec la jurisprudence européenne, qu'en l'absence d'autorisation écrite de l'auteur, l'INA bénéficie d'une présomption simple d'autorisation d'exploitation de ses œuvres.

Aux termes de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit consiste en plusieurs prérogatives, telle que celle prévue à l’article L. 212-3 du même code, selon lequel “sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public”. L’on ne peut donc, en principe, diffuser une œuvre sans l’accord préalable et écrit de son auteur. Bien évidemment, l’accord de l’auteur s’obtient contre une rémunération qui doit permettre aux artistes-interprètes de vivre de leur travail.

L’Institut national de l’audiovisuel (INA) bénéficie, en raison de sa mission d’intérêt général, d’un régime dérogatoire défini à l’article 49 de la loi Léotard du 30 septembre 1986. Selon cet article, “par dérogation aux articles L. 212-3 et L. 212-4 du code de la propriété intellectuelle, les conditions d’exploitation des prestations des artistes-interprètes des archives (…) et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes et l’institut”.

L’apport de l’arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2020 (n°17-18.177) est la découverte dans ce texte d’une présomption simple de consentement de l’auteur pour que ses œuvres soient exploitées par l’INA selon les conditions négociées par les organisations représentatives de la profession. Forte de cette présomption, l’INA peut exploiter les œuvres sans besoin d’une autorisation écrite préalable de l’auteur ou de ses ayants droit. Inversement, les ayants droit ne peuvent s’opposer à l’exploitation des œuvres par l’INA qu’en combattant la présomption au moyen d’une preuve montrant que l’auteur a interdit une telle exploitation.

La solution ne va pas de soi, tant il est difficile de voir la présomption découverte par la Cour de cassation dans le texte de l’article 49.

Dans l’affaire qui nous occupe, des ayants droit d’un batteur de jazz décédé en 1985 reprochaient à l’INA de commercialiser par Internet plusieurs enregistrements vidéo et un enregistrement audio, sans avoir obtenu leur consentement préalable.

Saisi du litige, le tribunal de grande instance de Paris jugea en 2013 que l’INA n’était pas exempté d’obtenir l’accord écrit de l’auteur avant de pouvoir exploiter les enregistrements litigieux. La cour d’appel de Paris confirma le jugement en 2014, mais son arrêt fut censuré par la Cour de cassation en 2015. Sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Versailles débouta les ayants droit de leurs demandes, en considérant pour la première fois que l’article 49 instaurait une présomption simple d’accord de l’artiste au bénéfice de l’INA. La Cour de cassation fut saisie d’un pourvoi contre l’arrêt de renvoi.

L’un des moyens de cassation soulevait une possible incompatibilité de l’article 49 avec la directive européenne 2001/29. Les ayants droit invoquaient cette directive qui impose aux États membres de prévoir “le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie, (…) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions” (article 2) et “le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement, (…) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions” (article 3). L’article 5 de la directive énonce une série d’exceptions aux articles 2 et 3, et les ayants droit soutenaient que l’article 49 ne correspond à aucune de ces exceptions.

La question était donc posée à la CJUE de savoir si, comme le soutenaient les ayants droit, l’article 49 crée une exception qui n’est pas autorisée par la directive ou, au contraire, à suivre l’INA, si cet article se borne à aménager un régime probatoire au moyen d’une présomption simple qui ne porte pas préjudice aux droits de l’auteur.

Dans son arrêt du 14 novembre 2019 (C-484-18), la Cour de Luxembourg a observé que l’exigence d’une autorisation écrite de l’auteur, posée à l’article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, n’était pas prévue par le droit de l’Union européenne. Elle en a déduit que l’article 49 pouvait retirer cette exigence spéciale d’obtenir une autorisation écrite en instaurant une présomption au bénéfice de l’INA, dès lors l’exigence générale d’obtenir le consentement de l’auteur n’était pas supprimée. Mais la juridiction européenne n’a pas statué sur l’existence d’une telle présomption dans le droit français, dont l’interprétation relève des juridictions nationales.

Il est donc revenu à la première chambre civile de la Cour de cassation de se prononcer sur l’existence d’une présomption dans l’article 40, en tirant les conséquences de la réponse de la CJUE. C’est ce qu’elle fit dans son arrêt du 22 janvier 2020 (n°17-18.177).

Le moyen unique de cassation était organisé en trois branches.

La première reprochait à la cour d’appel d’avoir violé l’article 49 en y trouvant une présomption d’accord de l’auteur qui n’existe pas. C’est donc l’existence même de la présomption qui était remise en cause. En vain. La Cour de cassation valide l’interprétation de la cour d’appel et consacre l’existence de la présomption de l’article 49.

La deuxième branche concédait l’existence de la présomption de l’article 49 mais faisait grief à la cour d’appel d’avoir privé sa décision de base légale en admettant le jeu de cette présomption sans rechercher si des garanties assuraient l’information effective et individualisée des artistes-interprètes sur l’éventualité de l’exploitation de leurs œuvres par l’INA. Reprenant le raisonnement de la CJUE (point 42 de l’arrêt), la Cour de cassation relève que l’artiste “avait participé à la réalisation [des] œuvres aux fins de leur radiodiffusion par des sociétés nationales de programme et qu’il avait, d’une part, connaissance de l’utilisation envisagée de sa prestation, d’autre part, effectué sa prestation aux fins d’une telle utilisation”. Elle en déduit que l’artiste-interprète était suffisamment informé et que la présomption pouvait jouer à son égard.

Enfin, la troisième branche soutenait que l’exception de l’article 49 restreint la protection des artistes-interprètes d’une manière qui n’est pas nécessaire et proportionnée eu égard à la mission d’intérêt général confiée à l’INA. Cette branche n’était pas de nature à entraîner la cassation, dès lors que la présomption de l’article 49 n’est pas irréfragable et, qu’ayant seulement une finalité probatoire, elle ne remet pas en cause le droit de l’auteur d’autoriser ou d’interdire l’exploitation de son œuvre.

La Cour de cassation rejette donc le pourvoi et, ce faisant, consacre le droit pour l’INA, en l’absence d’autorisation écrite préalable de l’auteur, d’invoquer à son bénéfice une présomption d’autorisation d’exploitation de l’œuvre.