Covid-19 et force majeure


Soudaine et brutale, La crise sanitaire du coronavirus bouleverse notre économie et force de nombreux contractants à cesser l'exécution des contrats en cours. Comment le contrat, œuvre de prévision par excellence, peut-il faire face à l'imprévisible ? Certains éléments de réponse se trouvent dans le concept ancien de force majeure.

Le premier alinéa de l’article 1218 du code civil, dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er octobre 2016, définit la force majeure en ces termes :

Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

En quelques mots, l’article résume le concept de force majeure et les conditions qui doivent être réunies pour qu’il trouve application.

Le concept est simple : celui qui ne peut plus exécuter ses obligations en est dispensé.

Les conditions de mise en œuvre de la force majeure sont plus épineuses. La jurisprudence classique exige en effet la réunion de trois conditions, que les étudiants en droit connaissent bien : la force majeure résulte d’un événement extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible (Cass. Ass. plén., 14 avril 2006, n°04-18.902).

Pour compliquer encore un peu l’analyse, les trois conditions doivent être appréciées in concreto, c’est-à-dire eu égard aux circonstances particulières de la cause.

Il faut donc d’abord que l’événement à l’origine de la force majeure soit extérieur au débiteur, c’est-à-dire qu’il ne soit pas soumis à sa volonté. Ce sera généralement le cas d’une maladie car l’on ne choisit pas, en principe, de tomber malade.

Il faut ensuite que l’événement à l’origine de la force majeure soit imprévisible. Ce n’est généralement pas le cas des épidémies, selon la jurisprudence, lorsque le virus ou la bactérie qui en est à l’origine est connu. Tel est le cas du chikungunya, à propos duquel il a été jugé que “l’épidémie de chikungunya a débuté en janvier 2006 et ne peut être retenue comme un événement imprévisible justifiant la rupture du contrat en août suivant après une embauche du 4 juin” (CA Saint Denis de la Réunion, 29 décembre 2009, n°08/02114). En d’autres termes, l’on ne peut plus se libérer aussi facilement de ses obligations en invoquant la force majeure, lorsqu’on s’est engagé alors que l’épidémie avait déjà éclaté. Le même raisonnement reste valable lorsqu’un contrat ancien est arrivé à échéance et qu’il a été renouvelé ou tacitement reconduit.

Il faut enfin que l’événement à l’origine de la force majeure soit irrésistible, et c’est probablement la condition la plus difficile à satisfaire. La force majeure doit en effet avoir empêché l’exécution de l’obligation. C’est en cela que la force majeure se distingue de l’imprévision, qui repose sur une circonstance rendant l’exécution du contrat ruineuse, sans l’empêcher totalement.

Certaines maladies comme la dengue n’ont pas été considérées comme irrésistibles, au motif qu’elles ne sont pas mortelles (par exemple : CA Nancy, 22 novembre 2010, n°09/00003). Tel n’est malheureusement pas le cas du Covid-19, qui devrait donc être considéré comme irrésistible… du moins pour les personnes qui ont été infectées et qui ont développés les symptômes les plus graves.

Quoi qu’il en soit, le confinement est un fait du prince, imposé par les autorités et auquel les contractants ne peuvent pas échapper. Il est donc par principe irrésistible. Mais les circonstances peuvent, tout de même, rendre l’exécution possible. Il sera ainsi bien difficile d’invoquer le fait du prince pour échapper au paiement d’une somme d’argent, par exemple, car être confiné chez soi m’empêche pas de se connecter au site Web de sa banque pour effectuer un virement bancaire. En revanche, le confinement pourra être invoqué lorsque l’obligation consiste en une prestation en nature devant être réalisée in situ.

Encore faut-il, toutefois, que le débiteur ait pris les “mesures appropriées” pour limiter les conséquences de l’événement l’empêchant d’exécuter ses obligations, lorsqu’il en avait la possibilité. La force majeure ne légitime pas l’imprévision ou la négligence du débiteur. Celui-ci ne peut céder que s’il a pris toutes les précautions imaginables pour résister. En ce qui concerne son cocontractant, le créancier, on songera volontiers au mécanisme de damage mitigation des pays de common law, selon lequel la victime ne doit pas aggraver son préjudice.

La force majeure libère le débiteur, lorsqu’elle est admise. Mais là encore, les circonstances de la cause peuvent influer sur l’étendue de cette libération. Selon le second alinéa de l’article 1218, si l’empêchement est temporaire, l’exécution est suspendue jusqu’à ce que l’empêchement soit levé ; au contraire, lorsque l’empêchement est définitif, le contrat est résolu et le débiteur libéré de son obligation.

Enfin, les parties peuvent avoir stipulé des clauses aménageant la force majeure, tant dans ses conditions que dans ses modalités. Ces clauses ne doivent pas avoir un domaine d’application tellement large que le contrat s’en trouverait privé de substance, car elles seraient alors réputées non-écrites en vertu de l’article 1170 du code civil. Dans les contrats d’adhésion, qui ne sont pas négociés, de telles clauses ne doivent pas rompre l’équilibre du contrat, faute de quoi elles seraient réputées non écrites (article 1171 du code civil) ou abusives en application de l’article L. 212-1 du code de la consommation.